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Quand les Régions donnent le « la »

Les feuilles de route régionales impliquent plus que jamais le secteur agricole, en pointant les enjeux de la durabilité, dans un contexte où les Régions ont vu leurs compétences prendre de l’ampleur.

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Les politiques alimentaire et agricole régionales se structurent toujours plus. Les Régions prennent les rênes du devenir alimentaire et agricole de leur territoire, avec un souci de l’environnement allant crescendo et des stratégies bien typées, à l’image du « Bien manger pour tous » en Bretagne ou du « Pacte régional pour une alimentation durable en Occitanie ». Ou encore, Néo Terra, feuille de route climatique et écologique avec six enjeux politiques pour le secteur agricole et IAA de Nouvelle-Aquitaine (lire ci-contre). L’agriculture est aussi « une grande cause régionale » en Bourgogne-Franche-Comté avec le plan #NotreAgricultureDemain. L’Auvergne-Rhône-Alpes consacre 104 M€ à sa défense, soit le premier budget agricole de France (p. 29). L’Île-de-France a opté pour un Pacte agricole dans lequel sera décliné un plan régional de l’alimentation francilienne, et se lance dans la lutte contre l’agribashing avec un appel à projets collectifs pour favoriser les relations entre agriculteurs et Franciliens. Un axe qui sous-tend aussi le plan agroécologie des Hauts-de-France (p. 28), dont un des objectifs est de renouer le dialogue entre le secteur agricole et les citoyens.

En outre, la crise sanitaire enfonce le clou d’orientations déjà en cours et souligne le rôle majeur des Régions appelées à relayer le plan de relance national. Celles-ci n’ont toutefois pas attendu le Gouvernement pour agir. Le Grand Est, par exemple, a lancé dès juillet son plan de relance Business Act qui fait plancher vingt-deux groupes de travail, dont un dédié à l’agriculture. Les racines agricoles des élus régionaux missionnés sur l’agriculture ne sont sans doute pas étrangères à l’attention portée au secteur, puisqu’une bonne partie a une exploitation. Cependant, la posture politique ne résonne pas forcément avec les nécessités des professionnels, selon Philippe Sommer, directeur de La Coopération agricole Nouvelle-Aquitaine : « Les Régions ont à répondre à des citoyens électeurs. Nous, nous avons à répondre aux besoins des consommateurs. On doit alors trouver un juste compromis. »

coconstruire avec la profession

D’où l’implication nécessaire des acteurs du terrain dans les réflexions menées par les Régions. Avec, certes, une coopération agricole qui peut avoir des relations plus ancrées avec les services régionaux que le négoce, notamment en matière de recours aux aides. Patricia Ranouil, directrice du Naca, reconnaît que « les négociants n’ont pas tous encore le réflexe de parler de leurs projets et de demander alors des aides ». De son côté, Pascale Gaillot, vice-présidente agriculture du Grand Est, veille à ce que tous les acteurs soient autour de la table, « sinon, je rappelle les absents » : « Nous consultons en permanence les filières. On n’agira jamais contre l’avis des professionnels, même si nous pouvons les alerter sur des points de vigilance. Notre équipe d’élus est en relation permanente avec les chambres d’agriculture, les coops et négoces. »

L’ère de la coconstruction semble être bien effective dans le Grand Est, tout comme elle l’est en Nouvelle-Aquitaine ou dans les Hauts-de-France. « La feuille de route Néo Terra a été bâtie avec la profession comme pour nos autres feuilles de route stratégiques, souligne Charlotte Nommé, directrice agriculture NA. Nous voulons du concret en mettant en place des dispositifs qui auront le plus possible un effet levier pour répondre aux enjeux définis. Aussi, coopératives et négoces sont clairement des partenaires pour travailler avec nous et participer à nos plans protéines, bio, sortie des pesticides, par exemple. » Des liens qui ne peuvent qu’être appelés à se renforcer. Les entreprises y ont tout à gagner, comme le souligne au sujet des PAT Christophe Vaurs, de La Coopération agricole (p. 22).

Des compétences accrues

La fédération nationale des coopératives souhaite justement aller vers une empreinte territoriale plus aboutie. « Un de nos axes stratégiques est de mettre en relation, à l’échelle des régions, les élus des coopératives avec les élus des différents pôles de territorialité », affirme Dominique Chargé, son président.

Cette collaboration est d’autant plus essentielle que les compétences des Régions ont évolué depuis la loi NOTRe en 2015. En effet, leur rôle s’est vu renforcé en matière de développement économique. De même, depuis 2014, les Régions ont la gestion d’une bonne partie des fonds européens du Feader. Sur la dernière décennie, elles ont ainsi pris beaucoup de poids dans la gestion des territoires « et sont devenues incontournables », note Charlotte Nommé. Cependant, les dernières décisions étatiques sur la gestion du Feader pour 2023-2027 retirent des prérogatives souhaitées. En effet, l’État va prendre l’autorité de gestion sur les mesures surfaciques (bio, MAE, zones défavorisées), laissant aux Régions les mesures non surfaciques (installation, investissements, innovation). « Régions de France avait invité à ne pas séparer le surfacique du reste car l’agriculteur pourrait être amené à passer un contrat de transition écologique combinant soutien surfacique et soutien PSE », souligne Pascale Gaillot. Ce contrat de transition, lancé par l’État en 2018, est adopté par une centaine de territoires, soit plus de 200 intercommunalités.

Davantage d’autonomie souhaitée

Des Régions souhaitent en effet plus de décentralisation et d’autonomie. C’est le cas de la Bretagne, avec son président qui demande depuis plus d’un an l’autorité de gestion sur tous les fonds Pac.

Il est vrai que les projets grouillent dans les territoires et ont besoin de réactivité et de proximité pour contribuer à leur réussite. Pour sa part, le Feader peut être mobilisé par les conseils régionaux sur des projets de développement, à l’image du Pôle euro­péen du chanvre (Aube), auquel participe la coopérative La Chanvrière. Ce projet, relevant du Partenariat européen pour l’innovation PEI-Agri, devrait aboutir à la constitution d’un centre opérationnel. Il est doté d’un budget d’1 M€, dont 740 000 € du Feader et 73 000 € du Grand Est.

Quant à la loi NOTRe, elle ouvre la porte à de nouvelles possibilités. Ainsi, la Région Bretagne a pu transformer un remboursement de dettes en une prise de participation de 5 M€ dans le capital de d’aucy (groupe Eureden), début 2019. « Nous sommes intervenus dans ce groupe car il rencontrait alors des difficultés, surmontées depuis. Nous estimons avoir un rôle à jouer quand des secteurs stratégiques sont touchés, tout comme pour Doux en 2018 avec une prise de participation via la société Yer Breizh, créée à cette occasion, relate Olivier Allain, vice-président agriculture Région Bretagne. Une telle implication nous rend plus crédible : les agriculteurs et les collectivités du territoire voient ainsi qu’une collectivité régionale croit en l’agriculture. » La Région compte bien maintenir ses prises de participation car « le groupe Eureden, c’est 20 000 agriculteurs. Nous pouvons avoir ainsi un œil sur la façon dont notre feuille de route est respectée ».

Une feuille de route bretonne qui envisage d’ailleurs le zéro pesticide de synthèse d’ici à 2040. « C’est dans 20 ans ! Ce n’est pas insurmontable », estime Olivier Allain. Et qui priorise l’agronomie avec les MAEC (263 M€ pour 5 000 exploitations).

Le Green New Deal occitan

La transition agroécologique est désormais ancrée dans les stratégies. L’Occitanie compte même bâtir un Green New Deal avec les citoyens, pour renforcer sa souveraineté alimentaire « par un modèle agricole vertueux qui soutient les agriculteurs par une juste rémunération, fait évoluer les pratiques, soutient l’emploi et rend accessible à tous une alimentation de qualité », relève Vincent Labarthe, vice-président agriculture. Les Occitans ont pu partager sur une plateforme leurs solutions. Les propositions plébiscitées seront soutenues jusqu’à 15 000 €. Le projet Occitanum jouera aussi son rôle (p. 26). « Le numérique aidera à gérer la logistique sur les filières longues et les productions territorialisées à petite échelle. L’Occitanie est la première région en nombre de PAT qui aident à consolider l’offre locale et à développer les débouchés. »

Des PAT sur lesquels les Régions n’ont toutefois pas vraiment la main et qui laissent certains perplexes, « par manque de résultats » pour Pascale Gaillot, ou par préférence pour « une coopération entre territoires plutôt que des territoires en autarcie » pour Charlotte Nommé. Les Régions restent cependant à l’écoute des projets qui en sortent. En Auvergne-Rhône-Alpes, Jean-Pierre Taite, vice-président Agriculture, souligne : « Nous œuvrons bien ensemble avec les départements qui voient notre travail. Et l’intelligence prend vite le pas sur les différences politiques. Nous participons, entre autres, aux discussions sur les PAT avec les communautés de communes, les métropoles préférant agir plutôt seules. »

La bioéconomie, un sujet porteur

En revanche, les Régions peuvent s’investir particulièrement sur deux autres dossiers touchant également le secteur agricole : le changement climatique et la bioéconomie. Le premier a amené certaines à participer à un appel à projets de l’Ademe en 2017 pour établir un diagnostic à partir de ClimAgri. Dans le Grand Est, la Région en a été le porteur. Constat commun tiré : la nécessité d’impliquer la filière agricole. La Nouvelle-Aquitaine a d’ailleurs lancé, avec l’Ademe et la chambre d’agriculture de NA à l’automne, un appel à manifestation d’intérêt, Adapt’agro, auprès des filières agricoles et agroalimentaires afin de les accompagner dans l’élaboration de plans d’action d’adaptation au changement climatique.

Quant à la bioéconomie, elle peut représenter une belle source de développement territorial. La Région Grand Est, première région productrice de biocarburants, est très engagée dans cette voie. « Le kit bioéthanol à 1 € a eu un très grand succès. Nous avons aussi un rôle à jouer avec nos flottes territoriales, ainsi que les coops et négoces avec leurs camions, avance Pascale Gaillot. Avec la bioéconomie, nous cochons toutes les cases : économie circulaire, emplois sur le territoire. La Région est là pour donner un coup de boost, pour être l’effet starter d’une filière : on dit aux porteurs de projet, travaillons ensemble pour que chaque euro investi fasse effet levier, dans la mesure de nos possibilités bien sûr. »

Des projets interrégionaux

Cette recherche de synergie territoriale dépasse même les limites régionales. Ainsi, pour développer la bioéconomie, un Biopacte a été signé en 2018 entre le Grand Est, l’Ile-de-France et les Hauts-de-France également très moteur avec 80 M€ injectés dans 600 projets en six ans. Un portail internet, dédié aux actions et possibilités de financement, vient d’être lancé. En Bretagne, c’est autour des protéines pour l’alimentation animale que des synergies interrégionales sont initiées. Ainsi, est étudié avec le Centre-Val de Loire la faisabilité d’un approvisionnement en protéagineux qui seraient produits dans cette Région. D’autres Régions pourraient aussi se mettre sur les rangs. Des synergies qui, d’ailleurs, ne peuvent qu’être facilitées par les rencontres au sein de Régions de France.

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